Le calme après la tempête [Pv Nina]

-Ah !

Je me réveillai en sursaut. Ruisselante de sueur, je m'étais redressée sur mon lit, haletante et choquée par le cauchemar que je venais de faire. La main sur le cœur et les yeux écarquillés, je réalisai soudainement le malheureux événement qui avait changé ma vie. Le jour, j'essayais de ne rien laisser paraître, mais la nuit, dans mes rêves, des souvenirs des expériences qui avaient été faites sur moi revenaient. Les hommes dans des blouses blanches qui plantaient de multiples aiguilles dans mon corps, le venin qu'ils y faisaient couler et l'infinie douleur dans ma nuque. Doucement, je passai mes doigts sur ma cicatrice. Elle était chaude et sensible au touché. On aurait dit que selon mon humeur, elle devenait de plus en plus douloureuse. La rage monta en moi, au fur et à mesure que je repensais à tout ce qu'il m'était arrivé. J'avais besoin de prendre l'air. D'un mouvement sec, je me dégageai de mes couvertures et sortis de ma chambre dans un claquement de porte qui retentit dans tout le pensionnat. Mes colocataires en seraient sûrement réveillées. J'étais dans un état vraiment bizarre. Rares étaient les moments où je perdais mon calme, mais cette fois-ci, j'avais besoin de me défouler. Je n'avais même pas pris le temps de me changer, j'étais en pyjama : pieds nus, pantalon et débardeur gris, et mes cheveux étaient montés en une couette sur mon crâne. Des mèches de ma frange restaient collées sur mon front à cause de la sueur, mais cela n'avait pas d'importance. Mon apparence était le dernier de mes problèmes. Je marchai vite jusqu'au hall et arrivée à la porte d'entrée du pensionnat, je m'arrêtai. Pourquoi passer par la porte quand on a la force de traverser les murs ? Je repensai encore et encore à ce qu'il s'était passé il y a quelques mois de cela et me mis à courir en direction du mur. À trois mètres de celui-ci, je poussai un cri de hargne et le frappa de mon poing. Le mur se brisa comme s'il avait été fait de verre. Passant au travers comme s'il s'agissait d'une entrée normale, j'évitai ensuite de marcher sur les débris. Je pris une direction au hasard, restant tout de même dans l'enceinte du pensionnat.

-Pourquoi ? Mais POURQUOI MOI ?! Criai-je à moi-même

J'arrachai un banc cloué au sol et le soulevai au-dessus de ma tête avant de l'envoyer valser à plusieurs mètres dans le ciel. Il atterrit lourdement sur une voiture à quelques blocs d'ici. L'alarme se déclencha presque en même temps. Cela m'était égal, puisque le pensionnat était caché par les arbres, on ne risquait pas de penser que le banc avait été lancé d'ici. Continuant mon chemin d'un pas décidé, j'arrivai aux jardins. Il y avait plein d'arbres en fleurs et le spectacle était vraiment magnifique, mais à ce moment-là, la beauté de la nature me laissa de marbre. Je serrai le poing droit et frappa un tronc de toutes mes forces. Celui-ci se déracina et s'écrasa sur le sol un peu plus loin. Essoufflée, je massai mes poings. C'était la première fois que je détruisais volontairement quelque chose. Malgré mes os résistants et ma force surhumaine, je ressentais la douleur et maintenant j'avais bêtement mal aux mains. Debout, les jambes légèrement tremblantes, je regardai le dos de mes mains endolories et écorchées par endroits avec un air dépité.

-Imbécile. Me dis-je à moi-même.

Cependant, j'étais calmée. Et apparemment, je n'étais pas seule ici...

-Le fait que les objets volent dans ma direction ne me dérange pas tellement, mais s'il te plaît, ne ravage pas le jardin, je n'aimerais pas qu'on m'accuse et qu'on m'empêche à l'avenir de revenir ici. Puis j'imagine que les personnes qui s'occupent de ce jardin n'apprécieront pas ça.

Je tournai la tête furtivement en direction de la voix que je venais d'entendre. Un jeune homme qui avait l'air un peu plus jeune que moi était allongé par terre. Apparemment l'arbre que j'avais arraché du sol lui avait atterrit dessus. En temps normal, je me serais excusée et j'aurais surtout rougi du fait de ma petite tenue devant cet inconnu... Mais cette nuit-là n'était pas une nuit comme les autres. Une rage incommensurable avait explosé en moi, et j'avais beaucoup de mal à laisser retomber la colère.

D'une façon toute naturelle, le jeune homme se releva en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Il se dirigea alors vers le tronc d'arbre et eu l'air de s'occuper de quelque chose... Même avec la lumière des lampadaire, je n'arrivai pas trop à distinguer ce qu'il était en train de faire. Peut-être allait-il me renvoyer le tronc d'arbre que je lui avais « accidentellement » balancé ? Je restai sur mes gardes, au cas où il tenterait de riposter. Finalement il n'en fut rien, puisqu'il alla s'allonger un peu plus loin. J'observai l'inconnu d'un air méfiant, massant toujours mes poings douloureux.

-Sinon, tu n'as pas eu trop mal au poing ? Me demanda le jeune homme.

Je détournai le regard. Pourquoi se souciait-il de cela ? Après tout, qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire ? Et même si j'avais mal, il ne pourrait rien y changer.

-Ça va. Ils ne sont pas en sucre. Répondis-je d'un ton froid.

Pourtant, mes mains disaient le contraire. Des doigts fins, la peau claire, de beaux ongles : rien ne laissait deviner que ces poings pouvaient détruire autant sur leur passage... Bien que ma chair puisse se taillader, les os en dessous n'auraient aucune égratignure. Par conséquent je compris qu'à l'avenir je devrai m'habituer à avoir mal.
Je soupirai.

-Et toi, tu fais quoi ici ?

À cet instant, rien ne cachait ma cicatrice et je n'avais aucune envie de défaire le nœud dans mes cheveux. La brise fraîche de la nuit venait agréablement caresser ma peau endolorie. Peu m'importait donc qu'il la voit. Et de toute façon, je lui faisais face. J'essuyai machinalement le dos de mes mains sur mon pantalon, puis m’essayai à l'endroit même où je me postais.

-Les gens sortent le soir pour plusieurs raisons, réfléchir, s'isoler, s'aérer, parce qu'ils n'arrivent pas à dormir.. et bien je dirais que j'englobe un peu la totalité de ces exemples. Sauf un seul : pour ne pas faire brûler ma chambre . Enfin bref. Et toi, en pyjama dans le jardin, à part chercher de quoi te calmer les nerfs, qu'est-ce que tu viens faire ?

Pour ne pas brûler sa chambre...? Je n'étais donc pas la seule à ne pas trop maîtriser ma force. Sauf ce soir ! Pour le coup, j'avais vraiment eu envie de détruire. Le problème était plutôt pour contenir cette force. Avec le temps, j'apprenais, ou plutôt j'étais obligée d'apprendre, à me maîtriser. Maintenant, je pouvais tenir un verre sans le briser entre mes doigts sans trop y penser. Je répondis alors :

-J'avais besoin de prendre l'air. Et puis je préfère me balader la nuit que le jour. Je te rassure, ce dont tu viens d'être témoin était vraiment exceptionnel. Je ne suis pas du genre colérique en général.

Cette colère était d'ailleurs totalement calmée, je décidai donc de me lever et de marcher en direction de l'arbre que j'avais déraciné pour voir s'il n'y avait pas quelque chose à faire. Je passai ma main sur mon front : quel désastre... Je me baissai et saisis le tronc sur sa largeur avant de le soulever au-dessus de ma tête. Je retournai alors à l'endroit où il était placé et, dans un énorme fracas, le renfonçai dans la terre. Un énorme nuage de poussière s'éleva dans les airs et je toussai un peu. Je me retournai alors vers mon interlocuteur et dis :

-En espérant que ça passe inaperçu...

Ce qui n'était pas le cas : on voyait encore les racines dépasser et la terre tout autour laissait croire que quelqu'un était passé par là... Toujours debout, je demandai curieusement :

-T'as dit que tu ne voulais pas brûler ta chambre hein... Tu ne contrôles pas ton pouvoir ?

Puis je m'appuyai contre le tronc d'arbre en croisant les bras. Bien que ma cicatrice fut toujours aussi chaude, je commençais à avoir un peu froid.

Le jeune homme se leva et marcha en ma direction. Ce rapprochement soudain me gêna quelque peu, car je ne m'étais toujours pas faite à la familiarité des pensionnaires. Je pensai tout d'abord qu'il ne voulait pas que des oreilles indiscrètes entendent ce qu'il avait à dire, mais je me trompais. Il ne cherchait pas à se rapprocher de moi, mais plutôt de l'arbre que je venais de renfoncer dans la terre. Toujours silencieux, il s'accroupit au pied de l'arbre et fit apparaître une flamme dans le creux de sa main. La lumière qui éclaira son visage put me permettre d'en distinguer les traits. C'était un beau jeune homme aux yeux d'un brun profond et dont les cheveux étaient d'une couleur toute aussi foncée. Il embrasa les racines de l'arbre, et une agréable chaleur vint me réchauffer les jambes. On pouvait alors nettement voir le sang sur mon pantalon qui m'avait servi de torchon. Enfin, il répondit à ma question :

-Et bien, ce n'est pas que je ne contrôle pas mon pouvoir, car je n'ai aucune difficulté avec celui-ci la journée, mais la nuit, quand mon esprit est endormis, je ne peux plus rien gérer.

Je n'avais pas pensé au fait que l'on ne puisse pas contrôler son pouvoir durant la nuit, lorsqu'on dormait. Je me dis que cela devait être assez dangereux, surtout s'il y avait d'autres pensionnaires dans la même chambre que lui. Peut-être était-ce aussi pour cette raison qu'il ne dormait pas ? Dans tous les cas, j'eus un soupçon d'empathie à son égard lorsqu'il me fit part de son problème.

Une fois les racines de l'arbre consumées, il se redressa et retourna à sa place.

-Les nuits sont fraîche, n'est-ce pas ? Dit-il.

-Oui. Et je commence d'ailleurs à le sentir... Ton pouvoir doit être bien pratique à ce niveau-là. Dis-je sur le ton de la conversation.

Je détachai mes longs cheveux blonds afin qu'ils me tiennent un peu plus chaud, puis je frottai mes mains contre mes bras. Je grimaçai discrètement, en baissant la tête, pour ne pas qu'il voit ce que ce simple mouvement faisait endurer à mes pauvres mains. En relevant la tête, je lui demandai :

-Au fait, tu t'appelles comment ?

Je m'accroupis à mon tour contre l'arbre, entourant mes jambes de mes bras et profitant des dernières braises pour me réchauffer.

-Ah oui c'est vrai excuse moi, avec cette arbre j'en ai oublié de me présenter, tu peux m'appeler BlackFlames.

BlackFlames ? C'était la première fois que j'entendais quelqu'un se donner son propre pseudonyme. Sur le coup, je trouvai cela plutôt comique, car j'imaginai alors le jeune homme habillé comme un super-héros combattant les méchants. Pourtant, je ne laissai rien paraître. J'avais déjà balancé un tronc d'arbre à ce...BlackFlames, je n'allais pas non plus me moquer de lui.

-Tu excuseras mes mauvaises manières .. Ajouta-t-il.

Je ne compris pas tout de suite son excuse, et ce ne fut que lorsque je me pris son souffle chaud dans la figure que je saisis la raison. D'un seul coup, l'air des alentours augmenta d'une bonne quinzaine de degrés. La température avait atteint les 25°C et je devais avouer que c'était assez agréable, malgré l'effet bizarre du souffle de BlackFlames sur moi. Ce dernier déclara :

-J'espère que ce n'est pas trop chaud .., L'air gêné.

Ce n'était pas vraiment une question de chaleur, plutôt que je n'avais jamais vu une telle façon de réchauffer quelqu'un. Je lui en étais toutefois reconnaissante et j'hochai la tête avec un sourire discret en signe de gratitude. Enfin, il me demanda :

-Et toi, comment te nommes-tu ?

J'hésitai un instant. Pourquoi devrais-je lui dire mon prénom s'il refusait lui-même de me dire le sien ? Je décidai de lui répondre tout de même :

-Nina.

A cet instant-même, je levai les yeux vers le ciel. Prononcer mon prénom me rappela mes origines. En regardant les étoiles, je me dis que ma famille était certainement en train de me chercher. Mais ils ne devaient pas compter sur moi pour les aider à cette tâche. Mon père était peut-être le principal fautif, mais on ne pouvait pas dire que ma mère, qui était sûrement au courant, m'avait aidée.

-Tous des traîtres... Marmonnai-je en fronçant les sourcils.

Sans vraiment réfléchir, je demandai :

-Tu viens d'où, en fait ?

Je ne savais pas si BlackFlames allait accepter de me répondre. À vrai dire, je n'avais pas pensé au fait que son passé était peut-être douloureux, comme le mien. C'était probablement une façon pour moi de détourner mes pensées vers quelqu'un d'autre que moi-même, histoire de ne pas ruminer des choses qui me rendaient malheureuse.

Le visage de BlackFlames afficha un air doux, comme s'il se rappelait d'une époque heureuse. Enfin, il répondit :

-Je viens d'une forêt assez loin d'ici, Forêt de Raismes-Saint-Amand-Wallers.

Eh bien, quel nom à rallonge ! Ainsi, il n'était pas du coin, tout comme moi. Je me fis la remarque que, de toute façon, il semblait que très peu de pensionnaires de Kageshiro venaient des environs. Pendant quelques secondes, je retrouvai une nouvelle fois cet air nostalgique sur son visage. Puis, avec un peu d’appréhension, il osa me demander :

-Et toi, sans être indiscret ? Et d'ailleurs pourquoi as-tu rejoins le pensionnat, toujours sans indiscrétion .. ?

Évidemment. Il aurait fallu que je m'attende à cette question. Je venais moi-même de lui demander quelque chose de son passé, sans avoir eu la délicatesse de penser qu'il ne voudrait peut-être pas en parler. Au final, il m'avait répondu en évitant d'entrer dans les détails. « Une forêt loin d'ici » ne me donnait aucune précision sur le lieu exacte. Bref, je décidai de me la jouer « mystérieuse », tout comme lui :

-Moi ?

Je le fixai de mes yeux bicolores et j'eus un petit rictus involontaire :

-Je viens d'un grand pays où il fait très froid.

Comme mon coeur, maintenant, pensai-je.

Je fis une pause, soupirant, car ce moment n'était pas des plus agréables. La question qui suivait devait conduire à une explication très personnelle. Cependant, je n'avais pas envie de partager tous les détails de mon affreuse histoire avec un simple inconnu. Je choisis donc de persister dans la voie de l'imprécision en disant :

-En ce qui concerne mon inscription au pensionnat... on va dire que je n'avais pas vraiment le choix. Et toi ? Pourquoi es-tu ici ? Me permis-je de demander.

Mon mystérieux interlocuteur se mit à sourire :

-Et bien, pour quelqu'un qui vient d'un pays froid, tu es assez frileuse !

Cette remarque, on me la faisait souvent... Bien qu'il fasse froid en Russie, je ne m'amusais pas à rester des heures sous la neige. J'étais souvent chez moi, et même si je devais me déplacer, les endroits étaient tous chauffés. Au final, ce n'était pas comme si j'avais vécu comme une sauvageonne et que, de ce fait, j'étais habituée au froid...
Il déclara alors :

-Désolé de t'avoir froisser. Je pense que c'est le fais que je ne donne que peu de détails qui doit te déranger, n'est-ce pas ? Pour tout dire, je vivais vraiment dans une forêt, une forêt de France dans le Nord, j'y vit depuis mon enfance. Bien-sûr si tu veux encore plus de précision, c'est à cause de mon pouvoir que j'ai du m'isoler loin de la population.

Je ne pus m'empêcher de sourire : Eh bien, quelle perspicacité !

La France, hm ? J'y avais été deux ou trois fois en vacances avec mes... parents. Un beau pays. J'avais particulièrement aimé la mer.

-Pour mon inscription, c'est de mon propre chef que j'ai décidé d'y entrer, pour éviter à ma mère de devoir réparer les pots cassés.

Ainsi, c'était l'amour pour sa mère qu'il avait décidé de partir... Tout le contraire de moi, qui avais quitté mon pays parce que je ne voulais plus revoir mes traîtres de semblables. Et puis, on était sûrement parti à ma recherche. J'étais en fuite.

-Puis, l'école n'était vraiment pas fait pour moi, c'est bien plus libre ici. Au moins j'ai tout le temps de m'entraîner ici et on pourra peut-être m'en apprendre plus sur moi et mon pouvoir, enfin, du moins je l'espère .. m'avoua-il avant de baisser la tête.

L'école... Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas revus mes amis. Ils devaient soit s'inquiéter, soit croire que j'étais une véritable lâcheuse... Je doute que mon père ait expliqué ma disparition à qui que ce soit. Il ne voudrait pas aller en prison. Faire des expériences sur sa propre fille, vous y croyez ? Et ce, justifié par une éventuelle fin du monde... Décidément, j'avais bien fait de partir. À quoi m'aurait servie une famille de fous ?

-Je pense que tu as fait le bon choix en venant ici. Tout d'abord, je suis certaine qu'on trouvera un moyen pour t'aider à contenir ton pouvoir lorsque tu ne peux pas le faire toi-même, et puis... les êtres humains normaux ne pourraient pas nous comprendre. En voyant ce que nous sommes capables de faire, ils pourraient nous prendre pour des dangers publics, Mon visage s'assombrit, Et pire, essayer de nous contrôler, faire expériences sur nous...

De toute façon, si les forces de l'ordre découvraient cet endroit et qu'elles décidaient d'agir en notre défaveur, elles seraient confrontées à une armées de petits mutants hargneux...

-Tu as raison en partis, mais en disant que les être humains normaux ne nous comprendraient pas et une généralité plus ou moins fausse car tous ne sont pas pareils. Et en soit, nous savons très bien que nous sommes dangereux. Nous n'en avons pas l'âme, mais la capacité oui, et je pense que la plupart d'entre nous le savent.

Évidemment que c'était une généralité, mais la plupart penseront de la sorte. Croire que les gouvernements seraient assez « ouverts » pour nous laisser tranquilles à la découverte de nos pouvoirs était tout bonnement de la naïveté pure et dure. Et ce n'était certainement pas parce que nous étions conscients de notre force que cela rassurerait les autorités...

-Même si ils nous attrapaient pour des expériences, je pense qu'il n'aurait pas le temps de faire quoi que ce soit. Enfin dans mon cas, ça chaufferait pour eux! Ajouta-t-il en riant.

Je souris à mon tour d'un air provocateur :

-Idem pour moi. Je ne laisserai plus personne me toucher.

Je fronçai les sourcils en regardant sur le côté. J'avais laissé échappé un élément que je n'aurais jamais dû révéler. Maintenant, il pouvait se douter que mon pouvoir n'était absolument pas naturel... Pour détourner l'attention, je décidai de reparler de son affirmation précédente :

-Et tu as raison, certains humains nous comprendraient probablement, mais beaucoup d'entre eux ont l'esprit aussi restreint que le derrière d'un âne, dis-je avec un petit rictus.

Je parlais des êtres humains comme si je ne faisais pas partie de cette race. À vrai dire, je ne me sentais plus humaine et je n'avais plus envie d'être reliée de quelque manière que ce soit à cette espèce. Après tout, c'était un défaut humain qui avait fait de moi ce que j'étais devenue : la paranoïa. Au départ, j'avais maudit ma force, car elle faisait toute la différence entre moi et un être humain normal, sans pouvoirs. Désormais, j'avais appris qu'il ne fallait plus avoir peur de cette différence. Celle-ci faisait maintenant ma force et c'était la seule chose sur laquelle je pouvais compter pour ma survie.

Il y eut un petit moment de silence. Je tendis les jambes et les bras pour m'étirer. Il devait être presque quatre heures du matin et maintenant que je m'étais calmée, la fatigue commençait à se faire sentir. Dans la pénombre, j'aperçus BlackFlames lever la tête et me fixer de son regard sombre. Je ne détournai pas le mien, mais après quelques secondes de silence, il le fit en tournant son regard vers le ciel étoilé.

-Et bien, tu es la secondes filles et personnes que je rencontres depuis que je suis ici et je suis plutôt content de tomber cette fois-ci sur quelqu'un de " normal "!

Normale ? J'avais arraché un arbre sous ses yeux ! Comment pouvait-il encore me trouver normale ? Soit il se fichait de moi, soit il avait vu vraiment pire que ça... Le souvenir du banc que j'avais lancé dans les airs et du mur que j'avais traversé me revinrent alors à l'esprit et je fermai les yeux en fronçant des sourcils : J'avais oublié...
Il se mit à rire doucement. Je paniquai un moment à l'idée qu'il puisse lire dans mes pensées en plus de pouvoir générer des flammes dans ses mains. Sinon, pourquoi riait-il? De plus, ce qu'il dit par la suite colla parfaitement à ce que je venais de penser :

-Bon une fille avec une force phénoménal, certes, mais du moins charmante. Dit-il en souriant.

Je baissai la tête, l'air gêné et me mis à rougir. Heureusement, il ne pouvait rien voir grâce à l'obscurité de la nuit. Ne sachant quoi répondre, je rétorquai machinalement :

-Merci...

Je pouvais distinguer un sourire sur son visage. Pourtant, je ne pus savoir si c'était un sourire moqueur ou naturel. S'il avait vraiment lu dans mes pensées, peut-être se moquait-il de moi ? Mais ça pouvait aussi être une coïncidence... Je décidai de ne pas y prêter attention. Au lieu de cela, je me levai en disant :

-Bon..., J'étirai mes bras en bâillant mettre ma main devant ma bouche, Eh bah je pense que je vais retourner dormir... Tu comptes rester ici toute la nuit ? Tu ne dors pas du tout ?

-Pas toute la nuit non, je vais rentrer moi aussi, je ne suis pas une chauve souris ! Et j'ai besoin moi aussi de me reposer. Répondit-il en se levant.

Il n'était donc pas à toute épreuve... Comme tout être humain, il avait besoin de dormir, lui aussi. Allions-nous donc rentrer ensemble ? Au moins, je n'aurai pas froid sur le chemin... Sauf qu'on passerait devant le banc que j'avais arraché du sol, et surtout devant le mur par où j'étais sortie. Bon, tant pis, de toute façon il m'a déjà vue avec l'arbre. Un arbre, un mur, c'est la même chose, non ?
Il déclara :

-Euh sinon, tu n'as plus trop froid ? Je pourrais toujours faire un bout de route avec toi jusqu'aux hall, puis te laisser rejoindre ton dortoir, puisqu'il me semble bien que les chambres filles et garçons sont dans deux couloirs opposés.

C'était bien ce qui me semblait. Enfin, quand il avait dit qu'il voulait lui aussi rentrer, je m'étais déjà doutée que l'on allait faire le chemin ensemble, puisque les dortoirs des filles et des garçons étaient dans la même direction. Il se mit à se gratter la tête, et grâce à la lumière des lampadaires, je pus voir qu'il était un peu gêné. Enfin, il se dirigea vers le chemin de terre qui menait au bâtiment principal.

-Non, ça va mieux, merci, Dis-je avec un sourire discret, et ça ne me dérange pas de marcher un peu avec toi... Ajoutai-je, même si je savais pertinemment que de ce fait, je verrai directement sa réaction à la vue du trou que j'avais fait dans le mur. Au moins, si on n'était pas rentrés ensemble, je n'aurais pas été témoin de sa moquerie, de sa colère ou de toute autre réaction.

À peine s'était-il éloigné de moi que je sentis déjà le froid de la nuit effleurer ma peau. Un frisson me parcourut et je m'empressai de le rejoindre. J'étais à un mètre de lui et je pouvais sans aucune difficulté sentir la chaleur que son corps émettait. Ça devait être vraiment bizarre d'avoir toujours chaud... Un véritable radiateur ambulant. Je souris à cette idée.

Un silence gênant s’installa pendant les quelques secondes de marche, du moins, c'est ce que je ressentais. Je ne savais pas trop quoi dire pour entamer une conversation qui eut l'air « naturelle ». Peut-être que lui, de son côté, ne ressentait pas du tout cette gêne ? À la cadence de nos pas, je stressais de plus en plus jusqu'à ce que nous croisions les pieds cloués du banc que j'avais fait valdinguer. À la vue de ceux-ci, je me raclai la gorge et pressai le pas en espérant qu'il n'ait rien vu...

Je ne m'attendis pas à ce que la réaction de BlackFlames fut aussi... explosive. Il éclata de rire à la vue du banc inexistant, mais il mit sa main devant sa bouche pour faire moins de bruit. Je regardai furtivement autour de nous pour vérifier que personne ne nous observait. Avec un rire aussi fort, il aurait pu réveiller tout le pensionnat... Et ensuite, à moi les ennuis...
Une fois un peu calmé, il expliqua la raison pour laquelle la situation l'avait autant amusé :

-Excuse moi, mais ce spectacle est plutôt insolite. Je ne me moque pas du tout de toi ! C'est juste que .. voilà !

Je n'étais absolument pas en colère contre lui. J'étais plutôt amusée d'être témoin d'une telle réaction. Au moins, si ça amuse quelqu'un... Il essuya les larmes de rire qui coulaient presque sur ses joues et nous continuâmes notre route vers le bâtiment principal. Si sa réaction était telle à la vue d'un simple banc arraché du sol, qu'allait-elle être quand il découvrirait le mur ? Je me mis à rire intérieurement quand je m'imaginai BlackFlames se rouler par terre tellement son rire serait puissant...
Au bout de quelques secondes de silence, il me demanda :

-Sinon, tu connais beaucoup de personne ici ?

-Pas trop... Je connais quelques élèves, mais je suis l'amie proche de personne. Répondis-je.

À peine avais-je prononcés ces mots que nous arrivâmes à la porte principale du pensionnat. Un trou béant était très nettement visible juste à côté de l'entrée, et comme je l'avais prévu, le jeune homme éclata de rire. Cette fois-ci cependant, il étouffa directement ses gloussements avec sa main. Je levai les sourcils en riant. Quelle joie de vivre !

-Et bien j'aurais eu mon quota de rire de la journée !

Mais au plus profond de moi, j’espérais que la punition ne serait pas trop dure... J'avais tout de même endommagé le bâtiment. Le souvenir du pouvoir de Hiyori me revint alors en mémoire : le jour de mon arrivée, elle m'avait tendu une bouteille d'eau que j'avais écrasée entre mes mains sans le vouloir. Elle saisit alors la bouteille et en une fraction de seconde, celle-ci avait retrouvé sa forme d'origine. Peut-être pourrait-elle faire la même chose avec le mur que j'avais brisé ? Ça m'éviterait de gros ennuis...
Le jeune homme, après s'être calmé de sa nouvelle crise de rire, s'approcha de la porte d'entrée et l'ouvrit. Il se rangea sur le côté pour me laisser passer poliment :

-Après vous Mademoiselle .

Je hochai la tête puis pénétrai dans le hall du pensionnat. Je m'attendais à ce que l'air y soit frais, mais grâce à BlackFlames, il faisait toujours aussi bon et je n'avais pas du tout froid. Je jetai un dernier coup d’œil à la partie du mur que j'avais détruit puis me dirigeai vers l'escalier menant aux dortoirs en soupirant. Je me rappelai alors de la question que mon interlocuteur m'avait posée et je la lui retournai :

-Et toi, tu t'es fait des amis ici ? Je ne t'avais jamais vu avant, tu es nouveau non ?

Nous étions en train de monter les escaliers lorsque j'entendis un bruit de pas. Je m'arrêtai net, aux aguets. Comme l'autre nuit, quelqu'un rodait ou se baladait dans le pensionnat... La dernière fois, il s'agissait juste d'un couple qui batifolait dans un coin, mais là il n'y avait qu'un seul bruit de pas. Il avait peut-être entendu le rire du jeune élève à côté de moi. Visiblement, il venait d'en haut et je fis signe à BlackFlames pour que l'on redescende à l'étage du dessous pour se cacher. Peut-être l'étranger allait-il simplement dans le couloir en haut de l'escalier que nous étions en train de monter ? Quoi qu'il en soit, il ne fallait pas que l'on se fasse repérer. Il était interdit de se balader dans le pensionnat en pleine nuit, non ?

-Par ici !

Je m'empressai de m'engouffrer dans la cachette que BlackFlames avait trouvé sous l'escalier, puis il me rejoignit rapidement. Il entrebâilla la porte afin de pouvoir observer la personne dont nous avions entendus les bruits de pas, parce qu'en effet, celle-ci avait décidé de descendre jusqu'au hall. J'eus soudainement la chair de poule tandis qu'un frisson me parcourut le dos.

-Désolé .. S'excusa BlackFlames.

Il venait de baisser la température. Sûrement pour éviter que l'inconnu ne nous repère. Je sentis alors le froid du carrelage sous mes pieds et je me mis à frotter mes bras avec mes mains pour garder encore un peu de chaleur. Au fur et à mesure que la personne s'approchait, nous essayions de faire de moins en moins de bruit. J'avais l'impression que le moindre craquement d'os allait nous faire remarquer, je me mis alors à genou et posai ma main sur ma bouche et mon nez pour ne pas que l'on entende ma respiration. Qui sait, cette personne avait peut-être une « super ouïe » ? On voyait tellement de choses étranges, ici... J'approchai ma tête tout doucement de la fente pour essayer d'identifier la personne. Un élève. Ouf !
Les bruits de pas s'éloignèrent, puis s'arrêtèrent brusquement. Je surpris BlackFlames arborant un sourire qui allait jusqu'aux oreilles. Je compris alors pourquoi l'élève s'était arrêté : il venait de voir le trou dans le mur... D'où le fou rire contrôlé de mon interlocuteur... Il devait se demander quel fou était passé par là. Ou alors penser que quelqu'un était entré par effraction ? Quoi qu'il en fut, le pensionnaire décida de ne pas y prêter plus d'attention que cela puisqu'il passa son chemin et sortit du hall par la porte d'entrée. Quelques secondes après, je relâchai ma respiration, soulagée.

-Pas eut trop peur ? Me demanda BlackFlames.

-Non, ça va. Je commence à être habituée à ce genre de situation ! Dis-je en relevant la tête vers lui.

Je me retournai pour voir où nous étions. On ne voyait rien et il faisait aussi noir que si on nous avait mis un bandeau sur les yeux. La seule source de lumière était celle qui venait du hall d'entrée par la fente. Derrière nous, il semblait qu'il y avait un grand vide. On pouvait sentir un léger courant d'air qui sortait par la porte. Je n'aimais pas trop ça et lorsque je tournai la tête vers BlackFlames, je lui dis :

-Euh... On ferait peut-être mieux d'y aller, non ?

Sans attendre une quelconque réponse de sa part, je me redressai et sortis pour reprendre la marche vers les escaliers. Je jetai un coup d'oeil autour de moi :

-On devrait se dépêcher avant que l'élève ne revienne... Et puis, je n'ai pas trop envie de tomber nez à nez avec un surveillant, si tu vois ce que je veux dire.

Je commençai alors à monter les marches d'escaliers pour arriver dans le couloir des dortoirs des filles. Je pressai le pas, de peur d'entendre à nouveau des bruits de pas inconnus. Même si ça avait été un élève, c'était tout de même un peu angoissant... mais aussi excitant, il fallait bien le reconnaître. Les dortoirs des garçons étaient un peu plus loin, au premier étage et une fois arrivés à ceux des filles, je me tournai vers BlackFlames :

-Bon, eh bien « c'est ici que nos chemins se séparent », comme on dit toujours, déclarai-je en souriant, Encore désolée pour l'arbre... Je ne te visais pas personnellement... Ajoutai-je d'un air gêné.